Les parloirs de Villeneuve-lès-Maguelone
Jean-Luc Le Gac, Hervé Di Rosa
Mediateur - Jean-Marie Bénézet, Cercle d'art contemporain du Cailar
Soutien - Fondation de France, Fondation Daniel & Nina Carasso, Fondation Ronald McDonald
Maison d'Arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone, Villeneuve-lès-Magelone, Languedoc-Roussillon, France, 2016
La commande
Liminaire.
Deux commandes d’œuvres d’art mises en place à la maison d’arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone, près de Montpellier, pour les parloirs et leur accès ont été inaugurées en 1999. Elles visaient à rendre moins douloureuse, moins stressante, la visite des personnes qui ont un proche à l’intérieur et concernaient au départ seulement les espaces réservés aux personnes extérieures.
Le travail du groupe des commanditaires a permis d’étendre l’intervention artistique à l’intérieur des parloirs et de créer des espaces réservés aux visites avec enfants, notamment le Relais Enfants-Parents pour lequel trois parloirs avocats ont été mis à disposition et leurs cloisons supprimées pour y installer une création permettant la rencontre entre la personne détenue et son enfant lorsqu’elle n’a pas de proches pour le lui emmener et qu’il est accompagné de bénévoles du Relais Enfants-Parents.
Les nécessités d’entretien dues à une intense fréquentation ont eu raison d’un ensemble de certains éléments de l’œuvre.
Le contexte de la commande.
Informé en 2013 de l’état de la commande artistique par l’avocate initiatrice de cette commande et par le chef du service d’insertion, tous deux commanditaires, le médiateur a rencontré la direction et les cadres de la maison d’arrêt de Villeneuve les Maguelone. Ils ont souhaité réactiver les deux commandes artistiques et pour cela constituer à nouveau un groupe de commanditaires.
Une nouvelle création a été préférée à une réfection à l’identique de la commande initiale. La réactivation de cette double commande est une première dans le cadre de l’action Nouveaux commanditaires et pose la question de la pérennité des œuvres d’art lorsqu’elles ont une fonction d’usage.
Pour cette nouvelle commande, compte tenu du nombre important de passages, trente cinq mille par an, du temps passé cinq jours sur sept dans les salles d’arrivée et de départ et dans les parloirs, ce sont des matériaux difficilement altérables et faciles d’entretien qui ont été choisis. Et pour garantir la conservation de l’œuvre une convention de propriété et d’entretien a été établie entre l’administration pénitentiaire, les artistes, le médiateur et les commanditaires.
L’objectif de cette commande.
Comme pour la commande initiale, l’objectif de cette commande est de favoriser la qualité des échanges entre les visiteurs, familles, amis ou avocats et les détenus et par là améliorer également le quotidien du personnel pénitentiaire qui pratique ces espaces et coordonne les circulations et échanges qu’ils abritent.
Pour ce faire, ces deux créations proposent l’une, pour les accès aux parloirs familles et avocats et l’intérieur des parloirs familles, un ailleurs poétique et raffiné dans un environnement muséal et l’autre pour les parloirs affectés aux visites avec enfants, un univers truculent, coloré, riche de signes et d’histoires à raconter que les enfants peuvent associer à leur père.
L’œuvre de Jean Le Gac
Cette œuvre se compose de deux volets liés à des espaces différents.
Le premier volet concerne les espaces d’accès aux parloirs familles et aux parloirs avocats : hall, escalier, couloir, espace de distribution des parloirs et les deux salles d’attente pour l’arrivée et le départ des familles.
Pour ces espaces il s’agit d’une scénographie muséale avec la mise en couleur de l’ensemble des murs en zones blanches et zones ocres comme s’il s’agissait de cimaises et des luminaires directionnels pour les quatre grandes œuvres peintes et quelques unes des cent photographies accrochées. Ce sont 126 luminaires en verre, de petits lampions accrochés en grappe, qui éclairent ces espaces.
Le second volet de l’intervention de Jean Le Gac concerne l’intérieur de seize «parloirs adultes », soit l’ensemble des parloirs à l’exception des huit parloirs affectés aux visites avec enfants.
Pour ces parloirs, Jean Le Gac a voulu un mobilier confortable, élégant et solide. Les chaises choisies sont transparentes, ce qui, allège visuellement ces espaces de faible superficie. Et Il a conçu une table faite d’un seul pied en bois brut de fort diamètre, «comme un tronc d’arbre» portant un plateau en bambou très résistant (aux rayures notamment) aux lignes et aux angles courbes. On retrouve aux murs la mise en couleurs des espaces de circulation, soit le blanc ponctué de zones ocre. Pour ces parloirs, il a créé une série de seize « images calmes » de grand format, une pour chaque parloir, directement collées aux murs, éclairées avec un éclairage directionnel, comme projetées sur le mur.
L’œuvre d’Hervé Di Rosa
Hervé Di Rosa a créé pour les huit parloirs affectés aux visites avec enfant : des parloirs juxtaposés et directement accessibles dès l’arrivée dans l’espace qui distribue les visiteurs.
Il a déroulé un panorama en huit grands tableaux faits d’azulejos, un par parloir, pour des univers de proximité, la mer, un port, le marais, la forêt, une gare…, et des activités communes, accessibles à tous, la promenade en campagne, à pied, en barque, en voiture, l’arrivée d’un train…
Deux personnages, les deux nigauds, sont présents dans chaque œuvre dans une situation différente, faisant le lien quel que soit le parloir choisi ou attribué entre chaque élément du panorama que les visiteurs retrouvent dans sa totalité dans le hall d’entrée afin de susciter l’envie de découvrir chacun de ces paysages, soit chacun des parloirs et qu’ils deviennent ainsi l’objet d’une curiosité, d’un choix.
Avec ses paysages rappelant des univers voisins, composés d’une foultitude d’éléments et ses deux personnages aux formes généreuses, l’air Benoît dans des situations ordinaires ou plus cocasses, l’intention de l’artiste est de distraire l’enfant comme l’adulte, de susciter des sujets de discussions sur ce qui se passe dans ce tableau, imaginer ce qui pourrait s’y passer, bref créer les conditions d’une rencontre la plus agréable et distrayante possible pour l’enfant; par là proposer un ailleurs et participer à la qualité de l’échange entre la personne détenue et son enfant.
Le choix de l’azulejo correspond à l’actualité de l’artiste dans le cadre de son tour du monde des techniques traditionnelles et correspond également aux besoins de ces espaces car ce support, d’une grande solidité et facile d’entretien est inaltérable. Il permet une pérennité que n’offrait pas les murs peints de la première commande.
Hervé Di Rosa a également créé dans l’espace de distribution des parloirs familles, du mobilier dont une barrière-farandole pour un espace permettant, avec des bénévoles du Relais Enfants-parents, un accueil collectif d’enfants et un mobilier supplémentaire au Relais-Enfants parents situé dans le parloir avocat, lui non modifié depuis la première commande.
A la demande du service de surveillance, l’intervention artistique s’est étendue jusqu’au couloir d’accès aux parloirs réservé aux personnes détenus, avec une mise en couleur des murs par Jean Le Gac, l’accrochage de photographies et un grand tableau en azulejos d’Hervé Di Rosa. Ces œuvres sont visibles uniquement par les personnes détenues et le personnel de surveillance.
Par ailleurs, comme dans leur grande majorité, les familles qui viennent visiter leur proche détenu, n’appartiennent pas aux catégories sociales qui fréquentent musée et galerie, l’intention est également ici de faire rentrer l’art dans un lieu où on ne l’attend pas et où il peut être découvert.
Jean Le Gac et Hervé Di Rosa
Jean Le Gac est né en 1936 à Tamaris, faubourg minier d’Alès dans le Gard.
Enfant doué en dessin, il sent qu’il a « le don » et peint assidûment tous les jeudis une nature morte. Après des études secondaires à Albi et de régulières visites au musée Toulouse Lautrec, il obtient le diplôme de dessin et d’arts plastiques qui lui permet d’enseigner dans les lycées et collèges. Jean Le Gac achète son premier appareil photo à la naissance de son fils et commence un album de famille.
En 1967, après quelques tentatives d’expositions, il abandonne l’idée d’être peintre. Jean Le Gac entame alors un processus où, à l’instar des héros de romans populaires et des bandes dessinées qu’il affectionne, il tient le rôle du reporter, qui avec ses outils, appareil photo et machine à écrire, épie sans cesse le peintre.
Fiction et réalité. Peinture, photographie et texte. L’œuvre de Jean Le gac est née. Il se manifeste à Paris de 1969 à 1972, par des «envois postaux», des «promenades» et des interventions dans des lieux non institutionnalisés. Il s’intéresse aux musées de province (musée du costume militaire à Fontainebleau, des sciences et techniques à Saint Etienne; musée Rude à Dijon).
Son travail séduit le milieu de l’art et les expositions se multiplient rapidement en France et à l’étranger. En 1972, il présente une exposition personnelle au Kunstmuseum de Lucerne, participe à la Documenta V de Kassel, ainsi qu’à la Biennale de Venise. En 1973, avec le galeriste John Gibson (New York), il participe à la définition du Narrative Art.
Aux origines, à la fin des années soixante, de ce que l’on a appelé «la photo plasticienne» et du «photo-texte», Jean Le Gac est adepte du mélange des genres, texte, photographie, peinture et du récit romanesque.
Son travail est présenté régulièrement depuis 1970 à la galerie Daniel Templon (Paris). Son œuvre est l’objet d’une importante bibliographie et plusieurs expositions rétrospectives lui ont été consacrées, notamment au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris et au Centre Georges Pompidou.
Né à Sète en 1959, Hervé Di Rosa étudie à l’école des Beaux-arts de Sète avant d’être admis à l’Ecole des Arts Décoratifs de Paris.
En 1979, Hervé Di Rosa cofonde le mouvement de la Figuration libre. A tout juste vingt ans, il est exposé à Paris et New York. Son inspiration et ses préoccupations artistiques viennent alors de la BD, de la télé, du mouvement punk et lorsqu’à l’orée des années 1980, il déboulera avec Boisrond, Combas, Blanchard, sur la scène artistique française, ils apparaîtront comme un groupe de rock, baptisé par Ben « Figuration Libre », et non comme une école ou un nouveau mouvement pictural ; ce dont ils se sont tous d’ailleurs toujours défendus, même s’ils ont fait bouger les lignes.
Progressivement, il diversifie ses approches artistiques au contact d’artisans dans un tour du monde qui le mènera en Tunisie, en Bulgarie, au Ghana, au Bénin, en Ethiopie, au Vietnam, en Afrique du Sud, en Corse, à Cuba, au Mexique, aux Etats-Unis, au Cameroun, en Israël. Sans revendiquer un style particulier, mais en développant un univers narratif bien à lui, peuplé de personnages récurrents, il a pratiqué toutes les techniques de création: peinture, sculpture, bande-dessinée, tapisserie, estampe, fresque, laque, argent repoussé, céramique, dessin animé, images numériques, entre autres. Il est également l’auteur ou le sujet d’environ 150 livres d’art et publications entre 1978 et 2014
Concepteur de l’Art modeste, il fonde en l’an 2000, à Sète, le Musée international des arts modestes (MIAM), où il expose de nombreux artistes venus du monde entier et crée des expositions qui questionnent les frontières de l’art contemporain.
Depuis 1981, son œuvre a fait l’objet de plus de 200 expositions personnelles et est présente dans d’importantes collections publiques et privées en Europe, en Amérique et en Asie.
Il vit et travaille actuellement à Lisbonne, Portugal.